Ici nous parlerons de l'anglicisme qui a récemment bouleversé l'organisation de nos projets informatiques, et pas le fameux germanisme du dit Sein. Pas besoin de philosopher sur l'être pour savoir dans le cas présent qu'on est passé à côté de quelque chose. Surtout qu'à la place de cet être, on se rapproche du néant. Mais trêve d’existentialisme, le design est aujourd'hui synonyme de conception, on peut tout designer, tout concevoir, il suffit de faire appel aux bons designers, dont l'arme principale va être la facilitation graphique, ou le maquettage visuel. Ceci est doublé d'un autre mouvement, celui de la mise en avant de l'apparence, car dans le monde moderne, peu importe le fond, si la forme n'est pas séduisante, l'autre ne découvrira pas le contenu. Même si c'est le travail de l'autre de découvrir et d'acquérir le dit contenu. De là à dire que le professionnel moderne se comporte en amateur ? C'est une question que l'on va laisser pudiquement en suspens. Le designer est donc devenu la personne incontournable de toutes les étapes préalables à la réalisation, voire même selon certains indispensable à l'étape de l'assurance qualité, car qui d'autre qu'un designer peut être capable de contrôler la mise en œuvre d'un design ? Mais laissons cette fantaisie reposer tranquillement en prenant un pas en arrière.
Qu'est-ce que la conception ? Pourquoi avons-nous besoin de concevoir ? D'analyser ? Est-ce que ne ça ne ferait pas partie des notions que l'Agile a rendu caduque ? Le principe de la conception est de travailler au niveau du concept, de l'idée, de la représentation mentale d'une chose. Imaginer quelque chose c'est d'abord concevoir l'image de cette chose. Difficile de collaborer directement sur une représentation mentale, il faut en effet pouvoir la communiquer aux autres. La conception est aussi par extension le résultat de la transmission de cette représentation mentale, par des mots, par des schémas, par des sons... par tout ce qui peut susciter la recréation de cette représentation mentale.
Au mot design on associe traditionnellement la notion de visuel, souvent non fonctionnel, c'est-à-dire qui ne participe pas directement au fonctionnement de la chose. Est-on dans le vrai ou ne serait-ce qu'une déformation ? Demandons à la businessophonie : premier recensement en 1350–1400 ; de l'anglais moyen designen, du latin dēsignāre “marquer (d'une manière distinctive) / représenter / dessiner”
. Si le verbe anglais to design a en effet dérivé vers l'activité de conception, voire de planification, il n'en est pas de même du verbe passé de mode to conceive, qui lui a gardé sa proximité avec to imagine. Ce rapprochement avec la planification et cet éloignement avec les représentations mentales font que ce design moderne est plus proche du dessin en tant que tel que comme vecteur de concepts. Si tout dans les phases amont à la réalisation se réduit au design, à des piles de dessins anonymes sans idées ou fonctions sous-jacentes, alors il n'y a plus de conception.
Peux-t-on concevoir sans représentation graphique, sans dessin ? C'est tellement difficile que les débats sur la schématisation dans l'informatique, souvent pour exprimer les concepts sous forme de modèles, sont permanents ces (au moins) soixante dernières années. Et il faut constater qu'arriver à un bon schéma demande très souvent un peu de compétences en design.
Vous pouvez trouver le reste de la série sous l'article d'introduction.