Ca parle beaucoup de Chine en ce moment, énormément même. Mais paradoxalement, on parle très peu de la Chine. On parle du Tibet, on parle de torche, on parle "des petits hommes en bleu", et avec tout ça, les trois quarts des journalistes sont toujours incapables de prononcer Hu Jintao de manière un minimum convaincante. Les journalistes parlent, les journalistes de l'avenir du peuple des connecteurs 3.0 smartmobifiés parlent, en deux lignes, en trois phrases, de l'équivalent de la population de l'Amérique du Nord, de l'Europe et du Japon réunis, d'un régime politique unique, d'une réalité toujours mal connue.

Alors comment se faire une opinion ? Où avoir l'information ? Comment nous orienter ?

D'un premier coup d'oeil, c'est mission impossible. La scène se partage entre les pro-chinois (selon les anti-chinois), les pro-tibétains (selon les pro-chinois) et les doux-rêveurs (selon les anti-pro-tibétains). On a beau lire, s'informer, on tourne en rond. Panorama rapide des acteurs plus ou moins récurrents.

Robert Ménard
Patron de Reporters Sans Frontière, association au financement opaque dont l'objectif semble... On ne sait pas, c'est un peu comme la politique de Sarkozy, ça a le goût de la défense de la liberté de la presse, mais aucune action d'ampleur pour la liberté de la presse. Les dernières actions notables de Ménard étaient jusque là d'aller dans les happenings culturels cubains à Paris qui n'étaient pas assez anti-castriste à son goût. Positif : euh... Négatif : pourquoi le Tibet ? Il faudrait qu'il commence par clarifier pourquoi dans le cadre de RSF il s'intéresse à la question tibétaine, alors que de nombreux problèmes de liberté de la presse dans le monde restent non traités par RSF...
Pierre HASKI
Journaliste, 5 ans en Chine en tant que correspondant de Libération. A fait sortir dans le monde le "Journal de Ma Yan" qui expose la faillite du système éducatif public, et co-auteur de "Le sang de la Chine : quand le silence tue", sur le scandale des pauvres qui vendaient leur sang dans le Henan, contaminés par le SIDA et les hépatites. Positif : il y était en tant que journaliste, il est allé au Tibet, il a pu continuer à travailler là-bas malgré les deux livres pré-cités, et il n'est pas vraiment pro-gouvernement-de-Pékin. Négatif : la rumeur dit qu'il ne parle pas chinois et qu'en ce sens, il travaille sur des informations pas toujours sourcées directement.
CAI Chongguo
Pas vu à la télé, mais intervenant régulier chez Pierre Haski sur son ancien blog, il a depuis son propre blog ; militant en exil pour les droits des travailleurs chinois. Positif : un chinois, un vrai, pas une banane, interdit de séjour en Chine et qui a des contacts là-bas. Négatif : même s'il a des contacts, l'information ne semble pas toujours être de première main. On se demande parfois si certaines de ses positions ne sont pas purement en réaction par rapport au régime en place.
François JULLIEN
Philosophe et sinologue, une de ses thèses sur la Chine est (extrêmement grossièrement) que le système de pensée traditionnel chinois est autre, et qu'on ne peut l'appréhender de manière instinctive, qu'il faut un travail, au-delà de la simple linguistique, pour arriver à sa compréhension. Il présente aussi une valeur à ses yeux fondamentale de la civilisation chinoise : l'harmonie, et comment il s'en sert comme clef de compréhension, en particulier vis-à-vis des droits de l'homme. Positif : pour le lecteur amateur, très convaincant dans sa construction logique. Négatif : des détracteurs dans deux camps. Le premier, celui des philosophe avec Jean-François Billeter, et le deuxième par des exilés chinois eux-mêmes, les deux ayant grosso-modo le même reproche : ses thèses ne s'appliquent pas à la Chine contemporaine. Pour Billeter, c'est parce que l'altérité levée par Jullien est en fait une construction de la dynastie Han, et que cette construction, encensée par les occidentaux, a disparue. Pour Cai, c'est parce que Jullien s'appuie sur une langue qui a été boulversée au cours du 20ème siècle, et que donc l'étude des classiques ne permet pas d'extrapoler à la situation actuelle.
Christophe GIRARD
Adjoint chargé de la culture à la mairie de Paris, mais surtout directeur de la stratégie mode et maroquinnerie chez LVMH, ancien de Langues'O, va en Chine régulièrement depuis plus de vingt ans d'après ce qu'il a dit récemment à "C'est dans l'air". Accusé d'être pro-chinois (au sens de pro-gouvernement-de-Pékin) par ses détracteurs, ce qui est quand même suspect étant donné la façon dont le gouvernement chinois traite la question de l'homosexualité, et cette question est une des raisons exprimées pour laquelle il s'est abstenu lors du vote de désignation du Dalaï-Lama comme citoyen d'honneur de la ville de Paris. Jullien est une de ses références. Pour : discours mesuré et semble vraiment connaître le pays. Contre : la Chine est un marché d'avenir pour le groupe LVMH, et pour Louis Vuitton en particulier..
Jean-Luc DOMENACH
Directeur de recherche au CNRS et sinologue. Positif : un vrai connaisseur de la Chine. Négatif : ses écrits étant très didactiques et nuancés, il faut se méfier quand il apparaît seulement sous la forme de courte citation... mieux vaut remonter à la source quand c'est possible.
Jean-Luc MELENCHON
Sénateur de l'Essonne, éléphant du PS et ex-trotskyste, autoproclamé poil à gratter des pro-tibétains. Positif : amène la partie contradictoire dans des discussions souvent à sens unique. Négatif : si sa dénonciation du manque de transparence aussi du côté français, ou sa mise en lumière de certaines parties de la constitution du gouvernement en exil font mouche, son acharnement à dire que le Tibet fait parti de la Chine depuis le 14ème siècle est lui hautement suspect.
Luc RICHARD
Collaborateur au journal Marianne, co-auteur avec Philippe COHEN de "La Chine sera-t-elle notre cauchemar ?", il a découvert la Chine en 2003 lors d'un voyage improvisé, il vit depuis cette période sur place et a appris le chinois. Il exerce la profession de journaliste. Auteur du récent "Pékin 2008", dont des extraits sont publiés dans Marianne n°574. Positif : un apprentissage du pays de l'intérieur, a priori sans a priori. Négatif : des points gênants. Sous la plume de Philippe COHEN (qui depuis squatte les sujets Chine sur marianne2.fr) : "Luc vit en Chine depuis trois ans et parle le mandarin. Il connaît bien le pays qu'il a arpenté dans tous les sens et surtout il permet de se passer d'interprète.", la relation entre "savoir parler chinois" et "pouvoir se passer d'interprète" pour faire un livre d'enquête ne me paraît pas évidente. Dans "Pékin 2008" : "De Pékin, il montre très longuement les parcs et les temples, jamais la grisaille urbaine qui fait le quotidien de ses habitants. La chape de plomb de la pollution soufrée a disparu, remplacée par un ciel bleu perpétuel. Au lieu d'évoquer la destruction du vieux Pékin, Leconte a choisi d'enfiler tous les clichés les plus éculés sur la ``Chine éternelle''.", ceci à propos de Patrice Leconte réalisant un court-métrage de commande pour les JO. Se souvient-il du film de Besson pour Paris 2012 ? Et Pékin n'a pas sa chape de pollution soufrée en permanence ; en hiver, oui, forcément, mais en été il y a les tempêtes de sable :-) Et sinon cette semaine dans Marianne, avec pour UNE fois dans les médias français, la photo ou Jin Jing est effectivement bousculée dans son fauteuil roulant : "Sur un blog chinois, Tianya, le photographe a laissé son récit des événements". Tianya c'est un énorme site chinois, constitué de forums extrêmement actifs (et surveillés, et controlés). C'est un point central pour surveiller l'opinion "admissible" de la jeunesse chinoise. Un des jeux consiste aussi à surveiller la fluctuation du nombre de messages sur un sujet donné, pour voir la censure à l'oeuvre :-) De deux choses l'une, soit l'auteur a confondu Blog et Forum, ce qui est excusable dans un monde où un hébergeur de site web est confondu avec un kiosque à journaux, soit l'auteur ne connaît pas Tianya, ce qui me paraît plus grave pour un correspondant en Chine sur des sujets de cette mesure.
ZHENG Ruolin
Le "chinois par défaut" des derniers débats télévisés... 1,3 milliards sur la planète, et on n'en trouve qu'un à inviter sur les plateaux : les chinois sentent le soufre ? Il est le correspondant en France du Wenhui, journal "sponsorisé" par la section shanghaïenne du Parti Communiste Chinois (elle-même complètement décapitée en 2006 suite à des affaires de corruption subtilement sous les feux de la rampe alors que le chef de section s'opposait ouvertement à HU Jintao). Vous pouvez toujours chercher les articles signés 郑若麟 et demander une traduction automatique si ça vous amuse. Positif : ZHENG est là depuis longtemps en France, si il reste très "marqué" par la ligne officielle chinoise, ses propos dans ses interventions télévisuelles sur la perception des actions françaises par les chinois et réciproquement, semblent relativement objectifs. Négatif : qualifié d'apparatchik par certains, on se demande il est vrai parfois s'il n'est pas un ambassadeur bis.

Au final, tout ça n'est pas simple... Où est la presse indépendante et objective ? (Réponse rapide pour la télé : Yves Calvi très bien, Samuel Etienne bof, Paul Amar minable).