Vingt heures moins quelques minutes, quinze personnes attendent la dernière fournée dans la boulangerie. Tout le monde se regarde en chien de faïence. Soudain, un coup d'interphone. Depuis l'arrière-boutique, le patron annonce que c'est prêt. La boulangère disparaît quelques instants, puis revient avec une panière chargée de... dix baguettes seulement. De toute évidence, il n'y en aura pas pour tout le monde. De là, on peut envisager plusieurs scénarios.

Le français moyen
Luttant désespérément contre la morale moralisante judéo-chrétienne, il tombe néanmoins dans le piège et propose de ne prendre qu'une demi-baguette afin d'en laisser pour les autres. Ce réflexe est assez bizarre dans un contexte de concurrence libre et non faussée, il était là avant, selon les règles il doit prendre ce qu'il veut ! Sans doute un abruti qui a voté 'non' ; les statistiques vont d'ailleurs dans ce sens.
L'américain
Il se demande ce qu'il fait à attendre vu qu'il ne mange pas de pain. On lui avait pourtant dit que dans ce pays du tiers-monde, c'était un lieu important à visiter. En plus, personne ne veut lui répondre quand il demande où sont les tickets pour la file. Encore un pays d'arriérés bloqués sur un patois médiéval, avec un système de distribution de nourriture communiste. Il n'a pas le problème, pour lui médiéval ne signifie rien. Lassé de l'attente, il sort.
Le libéral
Constatant avec bonheur que la concurrence est là sous la forme d'autres clients, le libéral va prendre le nombre de baguettes qu'il lui faut, plus un certain nombre en réserve. En effet, le marché de la baguette est là, la demande est nettement supérieure à l'offre, et cet imbécile de boulanger ne fait pas monter les prix ! Comme il n'y a pas de petit profit, ni de petit intermédiaire, il va s'empresser de revendre son surplus de baguettes sur le trottoir d'en face.
Le cadre
Il n'est pas là, il achète ses baguettes au supermarché, qu'il met au congélateur dès son retour à la maison, parce que sinon ça se ramollit. On lui a bien dit qu'au niveau du développement durable ça n'était pas terrible de dépenser toute cette énergie en cycle de congélation, décongélation, grillage de pain. Mais à cela il répond que ça n'est rien à côté d'aller acheter une baguette au supermarché en 4x4 ! Il n'a pas tort. Et de conclure que si le boulanger vendait au prix du supermarché, avec un parking de 15 places devant sa boutique, alors que peut-être il retournerait dans une boulangerie, parce que là au niveau concurrence, ça n'est pas terrible.
Le chinois
La fournée vient juste d'arriver qu'un chinois entre dans la boutique. Il passe devant la file en bousculant au passage le client le plus proche du comptoir, sans s'excuser. Un grognement s'élève dans la file, mais personne ne va le déloger, ça rappellerait les manières d'un piquet de grève, et personne ne veut exécuter une tâche de cette bassesse. Une fois en place, il se propose d'acheter le lot complet de baguettes, et il commence à négocier le prix. Sentant l'affaire lui échapper, le libéral vient rétablir une concurrence équilibrée en le sortant manu-militari, sous l'ovation du reste de la file.
Lunar
Il a passé la nuit congelé dans un datacenter : il ne mange plus de pain par solidarité avec les baguettes qui finissent chez les cadres.

En conclusion, c'est la France qui tombeeeuuut, parce qu'il n'y a plus que des abrutis qui mangent des baguettes, et ces abrutis ont fait tomber le dernier rempart qui empêchait la Chine de nous bouffer. C'était l'apocalypse selon Banette.