Il y a deux jours, l'association Droit de comprendre a remis le prix 2004 de la "carpette anglaise" à Claude Thélot, pour son rapport sur l'avenir de l'école. La "carpette anglaise" récompense les français influents qui font coucouche panier dès qu'il s'agit qu'il s'agit de défendre notre langue, et ce au profit exclusif de l'anglais. Ce prix existe depuis 1999, et vous pouvez voir le palmarès de 1999 à 2003 ici. Pour replacer le prix dans son contexte, voici quelques extraits du rapport Thélot (mise en gras ajoutée).

[...] la Commission constate cependant l’existence d’une dynamique majeure dont il lui paraît impossible de ne pas tenir compte : la langue qui permet la communication entre les citoyens européens de nationalités différentes est celle pour laquelle la connaissance minimale de tous est la meilleure, à savoir l’anglais. Vouloir contrarier cette dynamique est sans doute un exercice vain et illusoire[...]
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Comment être sûr et certain que personne n'apprenne autre chose que l'anglais en langue étrangère ? Le persuader que ça ne sert à rien, vu que c'est perdu d'avance, l'anglais est déjà là, partout ! Et seul l'anglais est nécessaire ! Impressionant, en plus d'être une carpette c'est un masochiste. Evidemment l'anglais n'est pas une garantie de toujours se faire comprendre, et c'est encore plus vrai quand on sort des relations d'affaires... Quoi il y aurait autre chose que des relations d'affaires en Europe ?

La Commission demande : l’identification, au sein des enseignements communs à tous, d’un socle comprenant ce qui est indispensable ; à titre d’illustration, on pourrait énumérer les fonctions primordiales suivantes : lire, écrire, maîtriser la langue et les discours, compter, connaître les principales opérations mathématiques, s’exprimer (y compris en anglais de communication internationale), se servir de l’ordinateur, vivre ensemble dans notre République ;
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Pardon, s'exprimer en anglais de communication internationale comme étant indispensable ? Le comprendre est certes une chose, mais le parler ? De manière indispensable ? Pour qu'on vous rende la monnaie à la boulangerie ? Pardon j'oubliais, les américains n'ont pas de baguettes, et les boulangeries sont des aberrations de la vieille Europe, cela doit disparaître, c'est une dynamique inéluctable. Ce qui chagrine le plus est que "vivre ensemble dans notre République" est placé derrrière parler "l'anglais de communication internationale", parce que vivre ensemble c'est fondamental, mais quand même moins que de discuter des termes d'un contrat en anglais, faudrait pas déconner non plus. Passons à un moment un peu plus savoureux.

Assurer la maîtrise de la langue française est la première tâche de l’École, car c’est la langue qui rend possible la vie commune. [...] Un élève qui ne maîtrise pas bien la lecture et l’écriture risque d’être handicapé au cours de sa vie. [...] Ne pas être capable de s’exprimer et d’échanger en anglais de communication internationale constitue désormais un handicap majeur, en particulier dans le cadre de la construction européenne.
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Vous ne savez pas aligner deux mots en français, vous faites douze fautes par ligne, rassurez-vous, ce n'est pas grave ! Il y a un risque (petit hein, ce n'est pas comme si c'était très grave) d'être handicapé (faiblement handicapé, cela va de soi). Par contre, ô souffrance, ô détresse qui m'accable, ne pas savoir s'exprimer en "anglais de communication internationale" est un handicap majeur, on devrait même donner une pension d'invalidité à ceux qui ne le parlent pas.

[...] la maîtrise, par toute la population, de l’anglais de communication internationale que la Commission juge faire partie du socle des compétences indispensables à une intégration réussie dans la société du XXIe siècle. Une simple mesure permettrait de faire progresser cette maîtrise beaucoup plus vite que ne le peut l’École seule : l’abolition du doublage à la télévision.
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La fin de l'esclavage télévisuel ? On va être obligé d'entendre de l'allemand guttural et rocailleux ? Les chinois cheucheuter à qui mieux mieux ? Les danois vomir à grand coups de fadøl et de rødgrød med fløde ? Non, nous sommes sauvés ! Aucun pays en Europe, que dis-je, au Monde, ne se risquerait à produire un programme autrement qu'en anglais, aucun ! D'ailleurs, cette mesure est d'une timidité extrême, il faudrait imposer que toutes nos émissions télévisées soient en anglais. Mais que va-t-on faire des vieux ? Question difficile, mais la réponse ne l'es pas : tant pis pour eux ! Ils n'ont pas leur place dans le XXIe siècle, pardon, dans le twenty-first century, quelle idée d'écrire avec des chiffres romains, ça fait vraiment fin de race.

Bien entendu, l'anglais est de même un pré-requis pour l'apprentissage de toute autre langue étrangère. Comment, les jeunes ne voudront pas apprendre une troisième langue après qu'on leur ait bourré le mou pendant dix ans à leur dire que l'anglais était nécessaire et suffisant ? Ce n'est pas grave après tout, ils seront associaux et incultes, mais ils parleront "l'anglais de communication international" avec les autres incultes associaux grâce aux nouvelles nouvelles technologies de l'information, et en particulier au concentré d'innovations et de concepts révolutionnaires qu'est MicroSoft MicroSoftNetwork Messenger. Au moins, il n'y aura plus de problème pour avoir les pieds propres avec toutes ces carpettes.