Le fait de lire Metro au quotidien met en lumière le travail de sélection de l'information. Surtout que dans Metro, on trouve des tribunes, certaines tenues par des personnages récurrents (Christine Ockrent, Albert du Roy, Pierre Briançon...) et d'autres plus exceptionnelles. Ces tribunes exceptionnelles, assimilables à un courrier de lecteur rallongé, sont d'une lecture intéressante car elles représentent en général le point de vue condensé de personnes n'ayant pas un accès important aux grands médias. C'est ainsi que dernièrement, on a pu voir une obédience franc-maçonne ainsi que le collectif "sortir du nucléaire" s'exprimer. L'exercice qui consiste à faire passer en 3000 signes le sentiment que ses idées ne sont pas assez exprimées est périlleux. On peut le constater par exemple dans la tribune de "sortir du nucléaire", avec un discours qui mêle les parallèles douteux (l'assimilation du nucléaire à "la peste et au choléra" : le nucléaire, une épidémie ?), un discours catastrophiste, une théorie du complot et des promesses populistes (réduction de 50% de la consommation d'énergie sans diminution du niveau de confort). Si on revoit la tribune des francs-maçons, c'était la pseudo-démonstration de la détention de la Vérité et du Progrès par eux...

Il semble difficile dans un texte court à la fois d'avoir un discours objectif et à la fois de susciter un intérêt durable dans le sujet de l'intervention. Ceci est renforcé par l'absence d'un vocabulaire de référence, celui-ci étant détruit à coup de "grandes idées force" en tête desquelles aujourd'hui sont le racisme et le fascisme. Prétexte à toutes les privations de droits, à tous les lancements de croisades, l'introduction de ces mots aujourd'hui dans une argumentation signifie dans la majorité des cas l'arrêt de toute discussion (au sens "échange d'arguments contradictoires"). Il fallait voir Alain Finkelkraut l'autre jour sur le plateau de Ripostes, où il a fallu le reste des invités pour pouvoir l'amener à exprimer son point de vue avec un vocabulaire moins radicalisant.

D'un autre côté on trouve Jean-François Copé qui passait dans l'émission de Jean-Marc Morandini. J-F Copé, excellent orateur, expliquait innocemment que son rôle en tant que porte-parole du gouvernement était de fournir les ministres et secrétaires d'état en munitions pour clôre tout débat avec des petites phrases stériles de la portée de "c'est celui qui dit qui est". Et innocemment, il s'étonnait après que les journaux télévisés ne se battent pas pour l'inviter.

La bataille pour le vocabulaire est donc engagée entre les agences de presses, relativement neutres, et les hommes et partis politiques, dont les "petites phrases" et documents de propagande (encore un mot dont le sens est régulièrement détourné) sont les premiers à assécher la précision sémantique : c'est la fameuse "novlangue", concept d'Orwell détourné, aujourd'hui régulièrement invoqué par les libéraux francophones pour parler du complot socialiste. Nul n'est besoin de préciser qu'ils participent grandement eux aussi à cette détérioration du sens. Alors quels moyens reste-t-il pour s'introduire dans cet espace où les mots n'ont plus tout leur sens, où la synthèse est automatiquement caricature ? La provocation gratuite, les pamphlets, l'écriture associati-f-ve qu'ille vous-se ralentit à l-e-a lecture pour être sûr-e que vous-se lisiez bien en mot-à-mot, tous ces textes dont le seul but est de déclencher la discussion, et qu'il faut oublier une fois celle-ci entamée.