- Député
- B.2. Dans les régimes parlementaires, personne élue pour représenter le peuple à la seconde assemblée législative.
- Liberticide
- Qui porte atteinte à la liberté, aux libertés.
Et dans le Dictionnaire de l'Académie Française :
- Liberticide
- Composé à l'aide de liberté et de l'élément -cide, tiré du latin caedere, «tuer». Qui détruit ou tend à détruire la liberté, les libertés. Une loi liberticide.
La différence est subtile, mais la définition de l'Académie est plus dure. Qui est Jean Dionis ? Un député. Liberticide ? C'est une accusation assez grave. Si on observe la question numéro 17472 de la 12ème législature, sur la loi de 1901 sur la liberté d'association, on pourrait dire qu'il y a une tendance à vouloir sur-légiférer : la peur exprimée est de voir les instances dirigeantes se faire renverser par des moyens retors par le membre de base. Toute cette interprétation sur une question à l'assemblée est quand même bien bancale. Examinons la transcription du récent bavardage du député avec les lecteurs du Journal Du Net (extraits choisis, en gras les questions, le texte est souligné par moi).
- Est-ce vraiment aux acteurs du Web de faire la police sur la toile ? Ils n'ont en ce domaine aucune legitimité.
- Il n'a jamais été question de cela. Un internaute qui découvre un site illicite est en droit de réclamer le blocage de l'accès à ce contenu à l'hébergeur qui l'abrite. Nul n'est censé ignorer la loi, c'est un grand principe républicain.
On commence donc par un mensonge, la proposition de loi dit effectivement :
Art. 43-8. - Les personnes qui assurent, même à titre gratuit, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par des services de communication publique en ligne, ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait de la diffusion d’informations ou d’activités que si, dès le moment où elles ont eu la connaissance effective de leur caractère illicite, ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère illicite, elles n’ont pas agi avec promptitude pour retirer ces données ou rendre l’accès à celles-ci impossible.
C'est en effet le problème de la délation : on peut dire à un agent de police qu'une voiture a grillé un feu rouge, mais aller le dire au garagiste qui est en train de réparer cette voiture pour qu'il mette un sabot en attendant le paiement de l'amende ? C'est ce qui est demandé, un flicage par les citoyens. On note ici l'argument massue : "nul n'est censé ignorer la loi"... explicité ici par un site institutionnel. La promptitude prend donc ici un caractère tout relatif, car comment être sûr du caractère illicite sans en référer aux autorités compétentes dans un grand nombre de cas ? Un MP3 d'un chanteur en ligne : existe-t'il une convention entre la France et le pays producteur concernant les droits d'auteurs ? Une transcription des propos de Dieudonné chez Fogiel : sont-ce des propos racistes ou pas ? La reproduction en est-elle autorisée ? Y'a-t'il un droit de reproduction implicite ? Où s'arrête l'exception de courte citation ? Et rappelons à M. Dionis du Séjour que tout n'est pas dans la loi, pour certains textes d'ailleurs, on ne peut rien évaluer sans les décrets d'application.
- Les moyens logiciels ? Très bien. On connaît l'efficacité. Cela reviendrait donc à censurer les travaux mis en ligne par un universitaire relatifs au révisionnisme. Cruel paradoxe, non ?
- Personne ne croira que le service qualité de Wanadoo, par exemple, ne saura pas faire la différence entre un travail universitaire sur le révisionnisme et un site de propagande nazie.
Eu égard à cet ingénieur en systèmes d'information comme il le dit lui même, j'oserai prononcer SYNTAX ERROR. Les travaux universitaires sur le révisionnisme sont en effet illégaux depuis 1990, voir à ce propos l'analyse d'Augustin Vidovic. Monsieur Jean Dionis du Séjour est donc ici coupable de désinformation, qui plus est concernant une loi liberticide (la loi "Fabius Gayssot").
- En pratique, les FAI vont devenir filtreurs sans décision de justice. C'est un fâcheux précédent, vous ne trouvez pas ?
- Je répète : les révolutionnaires de 1789 ont posé un grand principe, nul n'est censé ignorer la loi. Ce que nous avons voté ne dit pas autre chose.
Voilà, le grand retour du "nul n'est censé ignorer la loi", qu'on doit à un grand révolutionnaire : Napoléon Bonaparte, dans le Code Napoléon de 1804 (et qui est d'ailleurs le nom officiel du Code Civil, de par un décret de 1852 qui n'a pas été abrogé). Ce "nul n'est censé ignorer la loi" d'alors marquait une volonté claire que tout français puisse connaître ses droits, ce qui n'est plus le cas à l'heure actuelle. Cette mention a d'ailleurs disparu du Code Civil, laissant place à un laconique :
Article 122-3 N'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte.
dans le Code Pénal. Cet article, au contraire du "nul n'est censé ignorer la loi", exprime que le défaut justifié de compréhension de la loi par la personne est une cause d'irresponsabilité pénale. Parlons à nouveau un peu de la LEN maintenant, et de ce fameux article 43-8 cité au-dessus. Les implications en sont à peu près claires :
- étant donné que vous n'êtes pas en mesure dans tous les cas de mesurer le caractère illicite des contenus qu'on vous désigne, vous en interdisez l'accès pour ne pas risquer d'être poursuivi (ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée [...] que si [...] elles n’ont pas agi avec promptitude pour retirer ces données ou rendre l’accès à celles-ci impossible.)
- vous êtes vous même juge multicompétent (pénal, civil, application des peines, anti-terroriste, pour enfants...), mais dans ce cas là j'aurais personnellement des craintes à vous confier la gestion d'un datacenter.
Le troisième cas, quand le prestataire technique est notifié par la justice qu'il doit empêcher l'accès promptement à un contenu jugé illégal ne pose évidemment pas problème. Dans les deux autres cas, soit vous restreignez la liberté des hébergés qui se trouvent à la merci de la diffamation et des erreurs d'appréciations (c'est une remise en cause de la présomption d'innocence, le retrait d'un contenu d'internet est une sanction réelle). Dans le deuxième cas, vous restreignez la liberté de travail des personnes compétentes techniquement pour assumer les fonctions de prestataire technique, en les forçant à avoir une deuxième formation complète, non liée par essence à la profession visée. Ce projet de loi est liberticide et le défendre de telle façon, avec des adages issus de la révolution et dont la réalité législative est inexistante, relève du mépris vis à vis des électeurs. On croirait entendre Alain Juppé parler du bon sens. Dans le cadre de la fonction de rapporteur de loi, monsieur Dionis de Séjour mérite l'appellation de député liberticide.